NOUS SOMMES PARTIS
Nous sommes partis et ça roule bien sur cette route en bon état, mais ensuite on la quitte pour prendre celle qui va nous conduire à destination. Une agglomération s'annonce par son panneau: Youks les bains , nous roulons entre deux rangées d'arbres, on se croirait en Normandie, c'est vert et accueillant. Ensuite le paysage change, la route se rétrécit et le décor c'est , des cailloux et des rochers, ça commence à monter, et ensuite les virages se succèdent , nous sommes dans le col, ce passage entre deux sommets, d'un côté c'est la roche dont on ne voit pas le sommet, de l'autre le précipice. Dans un virage, le camion doit s'y prendre en deux fois pour tourner . Je pense que si on se faisait allumer, il n'y a pas beaucoup de solution, il ne faut pas se coucher sous les camions, car touchés ça explose et ça flambe, pas de possibilités du côté du précipice, une seule chose possible faire corps avec la roche de la paroi.Il faut se dire que les hommes de l'ouverture du col, veillent aux endroits stratégiques, et qu'un piper surveille dans le ciel, mais c'est très impressionnant
PEUR MOI JAMAIS
Le convoi s'étire sur des kilomètres, nous progressons
lentement, sur une route en lacets.
Les véhicules sont à la limite de caler leur moteur, nous sommes dans la montée de ce col, si dangereux.
D'un côté la roche abrupte qui domine, de l'autre le ravin.
Il n'y a que les bruits de ces engins poussifs, et pour la nature, c'est le silence le plus total, pas un souffle de vent, pas un cri d'oiseau, que du soleil implacable.
Que le silence et la certitude que des yeux nous regardent, dissimulés derrière des rochers.
Je surveillais les hauteurs, mon arme approvisionnée, pointée vers un éventuel agresseur, le doigt sur la détente.
Mais la peur au ventre, la poitrine serrée, la sueur qui ruissele, la tête pleine de visions d'horreur.
Panique incontrôlable en pensant au sort qui pouvait m'être réservé, comme celui de la dernière patrouille.
Les corps avaient été retrouvés, égorgés, le crâne éclaté à coups de pioche, émasculés et le sexe enfoncé dans la bouche.
C'est ça aussi la peur, de ce qui peut arriver.
Le dernier blindé qui fermait le convoi, tourelle pivotante, mitrailleuse orientée, vient de franchir, la dernière montée.
Nous sommes passés, il ne s'est rien produit.
La peur lâche sa prise.
La sueur se sèche.
Les mains ne sont plus moites.
Les jambes ne tremblent plus.
La tête se vide, et l'on pense à autre chose, au pays par exemple, où il fait bon vivre, et où des êtres qui nous aiment nous attendent.
Les conversations reprennent, les bravaches se déchaînent en plaisanteries obscènes.
PEUR ?????????????
Moi, non, jamais.
Pas besoin de voir des films, superbement expliqués, pour comprendre ce qui se passait dans la tête de ceux qui recevaient, l'ordre < en avant >.
Que ce soit dans les tranchées, sur les plages de débarquement, dans les rizières, la jungle ou les djebels.
Alors ne me faites pas rire, avec de belles envolées lyriques.
La peur n'est pas que pour les couards.
Tout le monde la connaît un jour.
Et a du la subir.
Après le col c'est un plateau entouré de djebels à l'horizon, il y a une piste, mais les véhicules roulent de front puisqu'il n'y a pas d'obstacle, et ça évite la poussière. Il y a aussi l'envie de rentrer, l'équipe de la sécurité du col suit ayant terminé sa mission, le soir tombe , la montagne va s'enfoncer dans la nuit mais sera un refuge pour des hommes déterminés à en reprendre possession,les ( Fell ) sont chez eux .
On arrive des maisons basses noyées sous la pluie, des barbelés, de la boue. Notre camion s'arrête, allez giclez, et alors là comme comité d'accueil, un farfelu appuyé sur une canne le chapeau déformé, dégoulinant de pluie, la bouche pincée crachant son venin. < Z'allez en chi.. les bleus, ici faut aller aux chiot....avec son fusil >. Le vrai sale type, tout juste 6 à 8 mois de service. Je lui aurais bien fichu mon paquetage en pleine gueu.., mais ce n'est pas la quart d'heure, dire qu'il va falloir cohabiter avec ce genre de larve. Une chose primordiale pour l'instant, se mettre au sec, et dormir .
C'est à l'ECS ( escadron de commandement et services ) que je suis affecté,Je rejoins mon cantonnement en suivant des peties rues, qui d'un côté font partie du poste, de l'autre ce sont les murs extérieurs des mechtas qui sont habitées. Le haut est garni de barbelés en tortillons et je vois briller sous la pluie des tessons de verre, qui sont là pour que l'on ne puisse pas escalader. Nous arivons enfin au bâtiment où sont logés ces cuirassiers, qui sont en principe à part ceux des services, le peloton porté.
C'est pour l'escorte, la sécurité du commandement, également pour les ouvertures de cols et de pistes. Ces hommes participent également aux opérations pour les bouclages et la recherche des troupes de l'ALN ( armée de libération nationale ) que la France combat dans sa détermination de conserver l'Algérie française
J'ai emprunté sur le site de Cheria dans lequel je communique cette image, le silo existe toujours
C'est ce bâtiment de stockage de grains, il faut se le représenter à l'époque de mon arrivée avec autour des murs de protection, une entrée pour les véhicules, fermée par une barrière en bois et barbelés, derrière un mur avec des créneaux pour le tir et une tour à deux étages ( pour la garde ) qui donnait sur la plaine et l'horizon étant le djebel.
Le bâtiment est spacieux, mais pas beaucoup de lumière, les lits sont côte à côte . Une allée centrale avec une grande table et deux bancs de bois complètent le décor, remarquable, un immense poêle en plein milieu.
Le Bricart ( brigadier) de service m'indique mon emplacement, assez éloigné de la porte d'entrée, ce qui évite les courants d'air lors des multiples entrées et sorties, mon couchage: un lit Picot ( ce genre de brancard sans poignées, une couverture, un sac à viande ( c'est un drap cousu jusqu'à moitié genre sac de couchage, une paillasse qu'il faut remplir de paille et l'installation avance. Pas de traversin, mon sac au dos va en faire office, pas d'oreiller, alors le gilet de peu de mouton va être utile. Sous le lit, je mets mon sac marin, ma valise, mon casque, au mur, un clou bien placé, pour accrocher mon fusil et je peux enfin goûter un repos bien mérité
Je fais connaissance avec mes proches voisins, car je ne connais plus grand monde depuis dix huit mois que j'étais détaché à l'Etat Major il y a eu de multiples changements, de Quatre escadrons qui composaient le régiment, c'est passé à six ou sept, en tant que bataillon de marche du 6éme cuirassiers et c'est éclaté dans autant de sites differents éloignés de 40 à 60 kilomètres de montagne ou de désert. Ces nouveaux amis me font cadeau d'une caisse à orange vide, c'est très pratique et ils en ont tous une. C'est une parfaite table de nuit, car redressée et installée on pose sur cette tablette, une photo, ou un transistor, une séparation en son milieu en fait deux compartiments pour ranger ses affaires de toilette, des livres ou même des sous vêtements, tout menus objets, il y en a même qui ont installé un petit rideau et c'est devenu une véritable armoire de rangement.
J'installe sur la tablette la photo de ma tendre amie, qui provoque de suite un attroupement admiratif et intéressé et des allusions assez équivoques, à la limite salaces. Pourtant sur chaque caisse table de nuit, il y a une photo, de fiancée, de petite amie ou même d'image découpée dans un magazine et installée dans un cadre, mais c'est un fait que des cheveux longs et blonds comme les blés mûrs attirent l'oeil de ces jeunes hommes, privés de douceurs de caresses et de sexe.
On voit mieux car la lumière vient d'arriver, tremblotante et pâle, le courant est fourni par des groupes électrogènes qui fontionnent au gaz oil et ça me fait penser à chez mes grand parents quand ils s'éclairaient à la lampe à pétrole, mais peu importe puisque je vais dormir, j'enverrai demain chez moi une carte que je suis bien arrivé et pour donner mon adresse afin de pouvoir recevoir du courrier.
Ces cartes nous sont distibuées lors des cantonnements, à Marseille, à Bone, a Tebessa et à Cheria, c'est pour prévenir nos familles de notre situation. C'est avec un timbre FP ( franchise postale ).
Bonne nuit les gars. Oui si on n'est pas attaqué !! Ah comment ça?, j'espère bien que non .
La nuit s'est bien passée, je dois me présenter au P.C (poste de commandement ) pour 8 heures, j'ai donc le temps après le petit déjeuner que j'ai été chercher à la cuisine ( café, pain, sardines et barre de chocolat ), et après la toilette, de rédiger cette carte, en donnant mon adresse, pour que l'on puisse m'écrire.
L'adresse c'est: nom prénom et un secteur postal qui est S.P. 86.392 AFN, c'est tout.
Une lecture qui rend au ventre, je pense qu'il s'agit de la guerre d'algérie ?
houps, peut-être que je dis une sottise